Le « Foch » bientôt coulé dans les eaux internationales : retour sur une lente agonie
Article de Le Monde de ce jour :
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] Les autorités brésiliennes ont décidé de couler cette ex-gloire de la marine française, abandonnée à 320 kilomètres des côtes.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]Combien de temps va durer l’agonie de l’ex-porte-avions français Foch, rebaptisé São Paulo après sa revente à la marine brésilienne, en 2000 ? Dans un article du 3 septembre 2022, on avait laissé l’ancien fleuron de la Royale battant désormais pavillon sud-américain près des côtes du Maroc. Le navire était rendu à l’état de vulgaire barre de fer de 250 mètres et 24 000 tonnes traînée par le remorqueur d’une société néerlandaise. Il était parti de Rio de Janeiro le 4 août précédent pour ce qui devait être son dernier voyage.
Acheté par une société turque, SÖK Denizcilik, pour une somme dérisoire (1,6 million de dollars), il devait être démantelé dans un chantier d’Aliağa, en Turquie, et son métal revendu au poids. Mais, alors que le convoi approchait du détroit de Gibraltar, le gouvernement turc a fait volte-face et refusé son autorisation, invoquant la présence d’amiante et d’autres produits toxiques, notamment des PCB (polychlorobiphényles). Présence confirmée par les expertises, dans des proportions qui font aujourd’hui débat.
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Terrible humiliation que d’être considéré comme un déchet toxique pour celui qui fut un symbole de puissance sur toutes les mers du globe. Sorti des chantiers de Saint-Nazaire et mis en service en 1963, le Foch, en alternance avec son quasi-jumeau, le Clemenceau, a bourlingué partout où le pays entendait montrer ses muscles. Remplacé par le Charles-de-Gaulle, il avait été ensuite racheté par la marine brésilienne, qui avait accumulé les déboires techniques jusqu’à décider de l’envoyer à la casse.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]Ce qui s’est passé depuisLa Turquie ayant donc refusé de l’accueillir, le São Paulo a retraversé l’Atlantique à l’automne. Il s’est mis à tourner en rond, en limite des eaux territoriales brésiliennes, à 25 kilomètres au large du port de Suape, dans l’Etat du Pernambouc. L’agence de l’environnement brésilienne, l’Ibama, a suspendu l’autorisation d’exportation, au nom du risque écologique. Mais, au nom de ce même risque, les autorités locales ont interdit l’entrée dans le port et la mise en cale sèche pour expertise…
La société turque qui a acquis le porte-avions a voulu rompre le contrat avec la marine brésilienne. Cette dernière a refusé et estimé dans un communiqué que « la responsabilité de savoir quoi en faire incombait à qui l’avait acheté ». Une injonction d’un tribunal du Pernambouc est venue interdire tout abandon par l’acquéreur. C’est avec en toile de fond cet imbroglio juridique que, dans des conditions mystérieuses, le São Paulo a repris le large, le 19 janvier. Le remorqueur brésilien a ensuite coupé les câbles et filé à plein moteur, abandonnant l’épave dans les eaux internationales, à 320 kilomètres des côtes, à un endroit où les fonds atteignent 5 000 mètres.
Les associations de défense de l’environnement redoutent désormais qu’il soit coulé, peut-être en invoquant un principe du droit maritime, la force majeure, qui permet de saborder un navire présentant un danger pour la navigation. La marine brésilienne a confirmé, mercredi 1er février, son intention de couler le navire en raison de la détérioration des « conditions de flottabilité de la coque ». « Ce serait une catastrophe environnementale », résume Jacky Bonnemains, de l’association Robin des Bois. Suite et fin, donc ? Pas sûr : avant de terminer sa vie dans un chantier britannique, le Clemenceau avait erré pendant trois ans, pareillement chassé d’un port à l’autre. Le Foch n’est peut-être pas encore au bout de son voyage.
Benoît Hopquin