Issu d’un coup d’État mené en deux temps [en août 2020 et en mai 2021], le gouvernement malien de transition aurait dû organiser des élections en février, pour ensuite remettre leur pouvoir aux civils. Seulement, il en a décidé autrement…
Alors que se déploient dans le nord et le centre du Mali des « formateurs militaires » russes dont on ignore le statut exact [mercenaires ou membres des forces armées russes?], la junte malienne a finalement estimé que les élections pourraient attendre au moins cinq ans de plus, le temps de mettre un terme aux violences [terroristes, communautaires, etc] qui minent le pays et de mener à bien des réformes, dont celle de la Constitution.
Étant donné que le gouvernement malien de transition ne respectera donc pas le calendrier sur lequel il s’était engagé, la Communauté économiques des États d’Afrique de l’Ouest [Cédéao] a décidé de sanctionner Bamako sévèrement, lors d’un sommet extraordinaire organisé à Accra [Ghana], le 9 janvier.
Ainsi, les mesures prises prévoient le rappel des ambassadeurs des pays membres de l’organisation en poste à Bamako, la fermeture des frontières, la suspension de toutes les transactions commerciales et financières [à l’exception des produits alimentaires, pharmaceutiques et énergétiques], le gel des avoirs de l’État malien dans les banques centrales et les banques commerciales des pays de la Cédéao ainsi que la suspension de toute aide financière.
Le gouvernement de transition malien n’a pas manqué de réagir, en annonçant aussi la fermeture de ses frontières avec les autres États membres de la Cédéao… Ce qui risque évidemment de compliquer – mais pas d’empêcher – les opérations menées par la force française Barkhane et le groupement européen de forces spéciales Takuba dans la région dite des « trois frontières », car située aux confins du Mali, du Niger et du Burkina Faso.
« Le gouvernement du Mali condamne énergiquement ces sanctions illégales et illégitimes » et « regrette que des organisations sous-régionales ouest-africaines se fassent instrumentaliser par des puissances extra-régionales aux desseins inavoués », a ainsi répondu le colonel Abdoulaye Maïga, le porte-parole du gouvernement malien, précisant que Bamako avait aussi décidé de rappeler ses ambassadeurs en poste dans les pays de la Cédéao.
Cela étant, le colonel Maïga s’est gardé de nommer ces « puissances extra-régionales » qui auraient « inspiré » la Cédéao… En tout cas, les sanctions prises par celle-ci ont été soutenues par le président français, Emmanuel Macron… qui, le 10 janvier, a précisé qu’elles seraient complétées par celles que s’apprêtent à prendre les membres de l’Union européenne, ainsi que par les États-Unis et le Royaume-Uni.
En revanche, la Russie et la Chine ont apporté leur soutien au gouvernement de transition malien, en bloquant un projet de texte soumis au Conseil de sécurité des Nations unies par la France afin d’appuyer les sanctions décidées par la Cédéao.
Dans le même temps, lors d’une audition à l’Assemblée nationale, et après avoir loué un dialogue « sérieux et exigeant » avec Moscou, comme l’avait souhaité M. Macron en août 2019, le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian a accusé le groupe paramilitaire russe Wagner – et, par extension, la Russie, de « soutenir » la junte malienne.
« Wagner est là pour soutenir la junte mais en faisant croire qu’ils viennent combattre le terrorisme », a dit le ministre aux députés de la commission des Affaires étrangères. « Cette junte illégale se proposait de tenir en otage la population malienne » pendant cinq ans, a-t-il ajouté, avant d’accuser Moscou de mentir au sujet de ce groupe paramilitaire qui, dit-on, a ses entrées au Kremlin.
« Lorsqu’on interroge nos collègues russes sur Wagner, ils déclarent ne pas [en] connaître l’existence. Quand il s’agit de mercenaires qui sont d’anciens combattants russes, qui ont des armes russes, qui sont transportés par des avions russes, il serait quand même étonnant que les autorités russes ne le sachent pas », a fait valoir M. Le Drien. « Nous vivons dans le mensonge », a-t-il insisté.
En attendant, la force Barkhane et le groupement Takuba [ainsi que l’EUTM Mali, la mission conduite par l’UE pour former l’armée malienne] risquent de se trouver dans une position intenable [si ce n’est déjà le cas]… Surtout si la junte malienne choisit l’épreuve de force avec les membres de la Cédéao, dont certains font par ailleurs partie du G5 Sahel [Burkina Faso et Niger, ndlr], et… la France.
Si les « instructeurs » russes ne sont pas déployés dans la zone où les militaires français et européens sont engagés, il n’en reste pas moins que cette « cohabitation » est une source de problèmes potentiels, notamment dans le cas où les premiers commettent des exactions [et les « mercenaires » de Wagner, s’il s’agit vraiment d’eux, ne sont pas connus pour prendre des gants…]. Et il serait singulier que Barkhane et Takuba opèrent aux côtés de forces armées maliennes [FAMa] qui relèvent d’un gouvernement en bisbilles avec Paris et ses partenaires européens. Bref, on a connu des situations plus limpides…
Quoi qu’il en soit, M. Macron a de nouveau insisté, le 10 janvier, sur la « coopération inédite » des membres de l’UE avec les pays du Sahel et la communauté internationale pour lutter contre les groupes jihadistes. « Nous allons continuer » à « européaniser notre approche » et à la « régionaliser », ce que confirmeront « les décisions des prochaines semaines », a-t-il dit.
Source : OPEX360