5 h du matin, dans un recoin de la base de Gao (Mali). Le capitaine Flavien du 516e régiment du Train regarde ses hommes avaler un café ou prendre les consignes. À lui la lourde tâche de commander "un convoi de fret international, engagé au cœur d’une zone hostile et dans un environnement contraint, transportant du matériel italien, danois et tchèque en plus du matériel français", comme vient de le rappeler le colonel Marc, le patron du groupement tactique Logistique Dragon.
"Terminus Ménaka", lance le première classe Patrick qui va effectuer sa première escorte de convoi. "Ménaka, c’est à 300 km ; il faudra au moins trois jours", précise le capitaine avant de détailler : "Ce convoi, c’est 130 véhicules. Dont 20 blindés d’escorte et autant de camions de dépannage et de soutien." Le reste ? Des poids lourds civils chargés de matériaux de construction, de nourriture, d’outillage, de pièces de rechange, de carburant. "J’ai fait trop de convois", raconte Sory, un chauffeur routier de Gao : "Tessalit, Kidal, Gossi… Cette fois, c’est Ménaka. Tout ira bien, inch Allah."
Route à risquesTout ira bien ? Rien de moins sûr… La route jusqu’à Ansongo puis la piste vers Ménaka sont propices aux embuscades, aux attaques kamikazes, aux engins piégés, comme l’explique la lieutenant Charlotte, responsable de l’escorte. D’où la présence en tête du convoi de trois imposants blindés Griffon du 3e RIMa de Vannes (Morbihan), appuyés par un VAB (véhicule de l’avant-blindé) du 6e régiment du génie d’Angers (Maine-et-Loire) : "À nous de détecter les engins piégés et de les neutraliser", résume un sapeur en embarquant. "Vous aurez du monde au-dessus de vous", ajoute, rassurant, le colonel Marc.
Ces anges gardiens, ce sont en particulier les hélicoptères du groupement tactique Désert Aérocombat. À ses hélicoptères Tigre et Gazelle de procéder à des vols de reconnaissance "pour dissuader les assaillants, localiser des présences suspectes et engager le combat s’il le faut", résume le lieutenant Quentin, un Finistérien qui pilote un hélicoptère d’attaque Tigre depuis deux ans. "Mais pour le mois d’octobre, nous n’avons pas eu à intervenir pour protéger des convois routiers."
Outre les attaques, le convoi doit aussi faire face à la litanie quotidienne des crevaisons, pannes et ensablements. "Du 2 au 17 octobre, j’ai accompagné un convoi vers Tessalit puis lors du retour vers Gao", raconte l’adjudant Ludovic, un gendarme lorientais qui, avec huit autres officiers de police judiciaire, constitue le détachement de la prévôté à Gao. "C’était un convoi de 200 véhicules étalés sur 30 km ! Une cinquantaine de crevaisons par trajet ! Et des pannes… Pour les mécanos, c’était un travail de Titan. De jour comme de nuit. Je leur tire mon chapeau."
Des voies logistiques habituellesLe convoi du capitaine Flavien n’a donc rien d’inédit. C’est le lot commun des GT Log depuis l’opération Serval (2013) à laquelle a succédé Barkhane (2014). Il fallait bien ravitailler les garnisons françaises éparpillées sur le territoire malien. D’où la constitution régulière de convois de poids lourds civils escortés par des moyens militaires.
Ces dernières semaines ont enregistré une hausse du nombre de convois puisque la France a décidé de quitter trois bases du nord : Tessalit, Kidal et Tombouctou, et de resserrer son dispositif entre la grande base de Gao et la zone des trois frontières (Mali, Niger, Burkina).
Tessalit et Kidal ont été vidées et rétrocédées. Tombouctou doit l’être d’ici à la mi-décembre. D’où le départ, le 30 octobre, d’un premier convoi vers la ville sainte malienne pour y livrer des conteneurs vides et des engins de levage en vue du désengagement. Trente camions civils ont pris la route qui longe le fleuve Niger, escortés par une centaine de véhicules militaires du GTD Korrigan dont c’était la première grande sortie opérationnelle depuis son arrivée au Mali en octobre. "Le 3e régiment d’infanterie de marine a engagé sa compagnie de commandement et de logistique et deux compagnies de combat sur les nouveaux blindés multirôles Griffon", explique le commandant Fabrice, chef du centre des opérations à Gao. "Une compagnie du 5e régiment de dragons sur VBCI (véhicules blindés de combat de l’infanterie) a aussi été engagée."
Rififi burkinabéTout l’équipement exfiltré de ces trois bases transite par le hub logistique de Gao où il est trié et reconditionné. S’il n’est pas redistribué à la force Barkhane ou cédé à l’armée malienne, il prendra la route de la métropole via le port d’Abidjan (Côte d’Ivoire).
D’autres convois se lanceront alors sur ce que les logisticiens français appellent la "« Voie sacrée »". Soit 2 000 km éprouvants et risqués via Niamey (Niger), Kaya et Bobo-Dioulasso (Burkina Faso) et Ferkessédougou, Bouaké et Yamoussoukro (Côte d’Ivoire).
Mais cette route est désormais bloquée à Kaya par des manifestants burkinabés qui dénoncent la présence militaire française et menacent de poursuivre leur action. Si c’est le cas, il faudra alors, selon l’état-major français, "étudier d’autres options". Ni plus courtes ni plus sûres.
La France faisait déjà face à un vent de contestation quant à sa présence au Mali ; désormais c’est aux Burkinabés d’exiger le départ de Barkhane. "Armée française dégage", "Libérez le Sahel", "Plus de convoi militaire d’invasion et de recolonisation français", pouvait-on lire ce week-end sur des écriteaux et banderoles brandis par des manifestants, rassemblés à l’entrée de Kaya.
Source : Ouest France - Lignes de défense